« Les stratégies destinées à valoriser [les] activités traditionnelles finissent [par] cristalliser le secteur informel en un véritable système économique parallèle : l’économie de la survie. L’économie de la survie se différencie du secteur informel et de toutes les autres formes spontanées d’art de la débrouille, puisqu’elle se structure et se développe dans un environnement socioculturel bien précis qui est celui de l’aide internationale.Il s’agit, pour la plupart, de produits d’une variété assez limitée, transformés avec des techniques artisanales par des groupements de femmes sélectionnées dans le cadre d’un projet d’une ONG ou d’une association, selon des critères ethniques, géographiques et sexuels (« les femmes peuls », « les femmes de Koudougou », etc.).
L’âge et le sexe des promotrices de ces microactivités ne sont pas des éléments anodins. Dans la plupart de ces programmes d’aide internationale, la transformation agroalimentaire est devenue un secteur « genré », réservé aux femmes, dans le prolongement d’une tradition sexuelle du travail qui veut que les hommes soient producteurs et les femmes transformatrices [dans le cas du Burkina Faso].
Les techniques de travail de transformation demeurent rudimentaires. La plupart des tâches sont exécutées à la main ou avec du petit matériel que l’on retrouve dans la plupart des foyers (...). Les conséquences les plus importantes de ce faible niveau technologique et de la rusticité du savoir-faire employé sont, d’un côté, l’absence d’innovation et, de l’autre, la multiplication exponentielle de ces activités qui se reproduisent suivant une sorte de mitose cellulaire. Cette segmentation de l’offre entraîne une segmentation de la demande : les marchés sont envahis par des produits homogènes (...).
L’analyse du système d’appui et de l’origine des financements montre qu’il ne s’agit en aucun cas de « survivances » ou de quelconques vestiges du passé, mais d’un système contemporain, entretenu par les acteurs de l’aide internationale. Ce système, calqué sur les caractéristiques de modes de production traditionnels ou « informels », a fini par générer les « économies de la survie ». Comme le marché informel, ces économies fonctionnent au-delà de l’État. Néanmoins, ce ne sont pas les pouvoirs traditionnels, mais les ONG et les acteurs de l’aide qui structurent, organisent et légitiment ces économies (...).
Les effets ne sont pas seulement d’ordre économique mais aussi politique et social. Si d’un côté, l’économie humanitaire reproduit des modes de production domestique, de l’autre elle finit par renforcer un ordre politico-social spécifique puisque à chaque mode de production correspond un ordre social et politique spécifique ».
Roberta Rubino, 2020, Quand les humanitaires se mêlent d’économie… The conversation